antigone

Antigone de Jean Anouilh : Etude du Prologue

Sa structure :

1) Présentation des personnages :

- présentation d'Antigone ( = héroïne)
- présentation d'Ismène
- présentation d'Hémon
- présentation de Créon
- présentation de sa femme Eurydice, de la nourrice, puis du petit page de Créon
- présentation des trois gardes
La présentation des personnages s'effectue par ordre de proximité avec Antigone. Eurydice est quand même présentée alors qu'elle n'interviendra pas dans la pièce. La nourrice qui était pourtant avec Antigone depuis sa jeunesse n'est mentionnée qu'après Eurydice, ceci s'explique sans doute par le fait que la nourrice ne fait pas partie de la famille royale.

2) Présentation de l'histoire :

temporellement et spatialement, cette présentation est résumée "d'un bloc". On y annonce que c'est une tragédie et que la mort d'Antigone, d'Hémon et d'Eurydice est inéluctable.

Analyse :

I - Différences avec la tragédie classique :

Le Prologue est comme le "réalisateur" de la pièce. La distance avec Sophocle est marquée par la familiarité des attitudes des personnages, les gardes jouent aux cartes, et Ismène bavarde, et aussi par les anachronismes.
Normalement, lors de la scène d'exposition, les personnages principaux et l'intrigue sont exposés par un dialogue qui ne s'adresse pas directement au public. Dans Antigone, elle est beaucoup plus schématique, elle est traitée d'une manière moderne, les personnages sont présentés de manière organisé par ordre de proximité avec Antigone et l'un après l'autre.
Tous les personnages sont sur la scène, mais ils sont là comme si ils n'étaient pas encore en représentation mais en coulisses.
On peut aussi noter l'écart entre le personnage d'Antigone et son actrice : "Elle pense. Elle pense qu'elle va être Antigone tout à l'heure", "il va falloir qu'elle joue son rôle jusqu'au bout..." La distance entre spectateurs et acteurs est marquée : " de nous tous, qui sommes là bien tranquilles à la regarder, de nous qui n'avons pas à mourir ce soir" Le vocabulaire du théâtre est utilisé ce qui ne nous permet pas d'oublier qu'on est au théâtre. Le suspense a été "cassé". Mais, en fin de compte, non, comme on connaît l'histoire, on a comme une espèce de supériorité par rapport aux personnages, et on ne connaît pas les réactions qu'ils vont avoir durant la scène. Anouilh le dit lui même dans Œdipe ou le Roi boiteux (Par ailleurs, on sait qu'on va voir une tragédie : la mort des personnages est annoncée et ils n'ont aucune issue pour y échapper.
Anouilh veut faire quelque chose de nouveau avec Antigone : il a écrit en prose avec un registre courant à familier alors que traditionnellement, les tragédies sont écrites en vers et avec un registre soutenu ; on découvre de nombreux anachronismes dans son œuvre comme : les trois gardes qui jouent aux cartes alors que les cartes n'existaient pas de ce temps - là et ils ont un chapeau au lieu d'un casque ; la reine tricote au lieu de s'occuper d'amour ou de politique, les gardes nous parlent de leurs enfants et de leurs femmes, ce qui ne se faisaient pas dans la tragédie classique, on nous dit qu'Ismène aime danser, ce qui est joyeux, alors que la tragédie doit être tragique ; on nous dit aussi à propos des gardes qu'ils "sentent l'ail, le cuir et le vin rouge", Anouilh traite les gardes sous un angle familier et en plus ils auront le droit à la parole dans le texte, alors que dans la tragédie classique, ils n'ont pas le droit de s'exprimer et on ne parle pas du tout de leur vie privée.

II - Les personnages

Composition de la famille royale :

Antigone et Ismène sont 2 sœurs mais elle s'éloigne à vitesse vertigineuse d'Ismène ("elle sent qu'elle s'éloigne à une vitesse vertigineuse de sa sœur Ismène" ), le Roi aussi est seul, Antigone et Créon, son oncle, sont donc tous les deux seuls, et cette solitude est fondamentale.
Personnage(s) d'Antigone : Antigone petite a un "sourire triste", des "yeux graves", elle est "noiraude", "renfermée", "maigre" et "petite", c'est l'image de l'antihéros, tous ces adjectifs qualifiant Antigone connotent la mort, le tragique. Par une espèce de métamorphose, l'Antigone de mythe va "se dresser seule en face du monde", "elle va surgir", c'est vraiment une héroïne. Cette différence est beaucoup plus importante que la différence entre l'Antigone petite et sa sœur Ismène dont elle s'éloigne d'ailleurs à vitesse vertigineuse, Ismène est jeune et aurait bien aimé vivre. Antigone est destinée à mourir dès sa naissance, c'est pourquoi elle est indifférente lorsqu'elle rencontre Hémon.
Hémon : C'est quelqu'un qui restera un peu mystérieux dans toute la pièce. On peut se demander si il aime vraiment Antigone. Le Prologue nous apprend qu'ils ne se marieront pas et que s'il n'avait choisi Ismène, il ne serait pas mort. Il est comme une espèce de pantin, il n'a pas de pouvoir alors qu'il est prince et destiné à devenir roi. C'est encore le petit garçon de son papa et de sa maman. Il n'existe pas vraisemblablement et son titre princier n'est qu'une apparence. Hémon se plie devant Antigone. Il n'a rien du jeune prince qui a de la consistance.
Eurydice : elle ne sait pas qu'elle va mourir, le regard porté sur Eurydice diffère nettement du regard qui est porté sur Hémon. On dit toujours Madame mais jamais la reine. On a l'impression que la tragédie se passe à côté d'elle et qu'elle ne la concerne pas. Elle est "bonne", "digne" et "aimante" mais cela ne la sauve pas de l'inutilité.
Créon : il ne peut s'appuyer sur personne : son fils est sans consistance, "seul avec son petit page qui est trop petit et qui ne peut rien non plus pour lui." Créon est le seul qui va monter une argumentation contre Antigone, c'est le Roi mais en fin de compte, il ne l'assume pas complètement, il se demande d'ailleurs si ce n'est pas vain de conduire les hommes. C'est un homme cultivé, il est assez ouvert et il a accepté par devoir le poste de roi.
Le Messager : il sait déjà, c'est lui qui viendra annoncer la mort d'Antigone. C'est une témoin privilégié. On peut encore noter un anachronisme : on sait quelque chose sur lui : il a le droit de rêver, d'avoir des envies et de n'avoir pas envie de faire son devoir, d'être pâle et solitaire.
Les gardes : Ils ne sont pas complètement réduits à leur fonction, on parle de choses dont on ne parlerait jamais dans la tragédie classique. Coté quotidien : Ils sentent l'ail, le cuir et le vin rouge. Anouilh insiste sur le fait qu'ils sont toujours innocents et toujours satisfaits d'eux-mêmes, de la justice. Ils ne se posent pas de questions sur l'existence. "Ils sont dépourvus de toute imagination". Anouilh insiste aussi sur leur lourdeur.

III - Conclusion :

Écart entre l'image classique que l'on a des personnages par rapport à la tragédie classique où l'on ne présente que les personnages nobles : on n'aurait présenté qu'Hémon, Créon, Eurydice, Antigone et Ismène. Exceptée Antigone, les personnages sont caractérisées par leur banalité. Dans la tragédie classique, ils sont plutôt sublimes. La conception du pouvoir est différente : dans la tragédie classique, on se bat pour le pouvoir et ici, le pouvoir est perçu comme un fardeau qu'il faut accomplir tous les jours.

Dans la suite de la pièce, Créon essaye de composer avec Antigone, il essaye de la sauver. Anouilh a voulu mettre plus d'humanité dans la tragédie.
La pièce est désacralisée : on a enlevé le coté exceptionnel des personnages de tragédie qui ne sont pas humains mais surhumains. On y faisait un mythe des personnages. Le tragique de la pièce va se concentrer dans le personnage d'Antigone, les autres personnes tiennent à leur humanité.

Étude du texte n°2 (page 24 à 28 dans l'édition de 1999 de la Table Ronde)
"Écoute j'ai bien réfléchi ... ma petite sœur"

Antigone refuse de dialoguer : on le remarque par toutes les oppositions avec Ismène : "Moi je suis plus pondérée. Je réfléchis." // Antigone : "Il y a des fois où il ne faut pas trop réfléchir" ; "je comprends un peu" // "moi je ne veux pas comprendre un peu".

Ismène se valorise, elle dit qu'elle a toujours raison : "réfléchir", "raison", "pondérée". C'est elle qui mène le dialogue dans un premier temps : "Écoute". Ses arguments sont réalistes : elle dit que Créon n'a pas totalement tort : "Il est le roi, il faut qu'il donne l'exemple", son attitude s'explique par sa fonction de roi. Ismène est partagée : elle a une attitude réaliste presque adulte et elle essaie de comprendre les uns et les autres. Il n'y a pas de partis tranchés chez Anouilh. Dans la pièce de Sophocle, Antigone défend les lois sacrés contre la tyrannie. Ici on a une version plus "mitigée" des choses.

Antigone reprend des phrases de sa sœur de manière laconique, ces réponses ne permettent pas d'entrer dans un débat de fond avec Ismène, mais elles nous permettent de comprendre Antigone. On a l'impression qu'elle se démarque : "Moi, je ne suis pas le roi. Il ne faut pas que je donne l'exemple, moi... Ce qui lui passe par la tête, la petite Antigone, la sale bête, l'entêtée, la mauvaise, et puis on la met dans un coin ou dans un trou. Et c'est bien fait pour elle. Elle n'avait qu'à ne pas désobéir !". Elle se traite à la 3e personne en utilisant un vocabulaire péjoratif. Antigone veut nous dire qu'elle est libre : "je ne suis pas le roi", sa liberté existe depuis toujours et elle le revendique. L'affaire de Polynice n'en est qu'une partie. Elle a été depuis toujours indomptable. En fait, ce qu'elle nous dit n'est pas péjoratif pour elle. Sa sœur est présentée comme quelqu'un de plus raisonnable. Antigone ne veut pas s'enfermer dans un conformisme et faire comme tout le monde. Pour elle "comprendre" rejoint obéir et être raisonnable. Ce verbe est repris par anaphore : "Il fallait comprendre" ( x2) et il est répété 7 fois en tout dans cette tirade. Elle oppose la notion de raison à l'envie de faire ce qu'elle veut quand elle veut. Elle avait envie de tout vivre pleinement : "manger tout à la fois", "donner tout ce qu'on a", "courir jusqu'à ce qu'on tombe". Ce désir d'absolu est lié à sa jeunesse : "Je comprendrai quand je serais vieille". Elle veut braver les interdits par ses jeux d'enfants, gratuits et agréables. Ce sont des plaisirs simples : elles jouent avec les éléments naturels : l'eau (" toucher à l'eau, à la belle eau fuyante et froide"), le vent ("courir, courir dans le vent jusqu'à ce qu'on tombe par terre") et la terre. Le rôle de la Nature et de cette innocence sont importants chez Antigone. La liberté s'exprime encore par l'expression "courir, courir dans le vent". Tout ces jeux s'opposent aux règles sociales. Elle revendique la liberté de vivre naturellement et dans l'innocence face à la norme sociale donnée par Créon, contrairement à sa sœur qui accepte les règles dictées par le roi. Antigone est l'image de la jeunesse exigeante ce qui dépasse le point de vue donné par la pièce de Sophocle.

Notion de vivre : Paradoxalement, on a l'impression qu'Antigone est plus sensible à la vie que sa sœur. Elle l'affirme par des questions oratoires : "Qui se levait la première, le matin, rien que pour sentir l'air froid sur sa peau nue? Qui se couchait la dernière seulement quand elle n'en pouvait plus de fatigue, pour vivre encore un peu de la nuit? Qui pleurait déjà toute petite, en pensant qu'il y avait tant de petites bêtes, tant de brins d'herbe dans le pré et qu'on ne pouvait pas tous les prendre? " Elle trouve le temps trop court et elle veut donc le vivre au maximum : "la première, le matin", "la dernière [...] quand elle n'en pouvait plus de fatigue, pour vivre encore un peu de la nuit". Elle se présente comme la petite fille qui ne grandira pas. Pour elle vieillir, c'est devenir Ismène. Elle utilise l'imparfait pour dire à Ismène que c'était la dernière fois qu'elle faisait cela. Elle veut vivre pleinement le temps avec la nature, elle est en osmose avec elle, rien ne les séparent : "peau nue". Contrairement à Ismène qui est belle par son artifice : "belle robe". Elle veut vivre de la nuit, où elle est seule à seul avec la nature, comme si elle en tirait son énergie vitale. Ce désir de communion, de familiarité avec la nature s'exprime dans ce qu'elle a de plus commun : "petites bêtes". On retrouve cette notion de pureté et d'innocence d'Antigone.

Le type de dialogue entre les 2 personnages marquent bien le fossé qui les écartent. Ceci était déjà exprimé dans le prologue.

Dans deux tirades, Ismène manifeste sa peur. Dans la première : sa peur vient du conformisme : "ils pensent tous comme lui" et du collectif qu'elle dévalorise : "des milliers et des milliers [...] grouillant". Elle vient de la loi du nombre, le nombre est relié par la taille de la ville : "dans toutes les rues de Thèbes", "dans la ville". Elle y utilise le "nous", elle se sent proche de sa sœur, elle n'a plus cette innocence. Dans la deuxième tirade : elle évoque la foule : elle essaie d'impressionner Antigone par la quantité : "mille bras", "mille visages", "unique regard", ils regardent tous Antigone avec leurs deux mille yeux : ceci exprime encore la peur du conformisme. Ce vocabulaire haineux, du mépris, doit faire peur à Antigone : "cracheront à la figure", "leur haine". Elle a peur des gardes qui l'enverront jusqu'à la mort : "supplice", elle les décrit comme des animaux qui ont la tête gonflée, qui ne réfléchissent pas : "regard de bœuf", "têtes d'imbéciles" et comme des gens grossiers, patauds, qui manquent de délicatesse : "grosses mains lavées", "cols raides". C'est son imaginaire qui la conduit et elle est déjà au stade du supplice où elle est accompagnée par les gardes dans la charrette qui sont une autre représentation de Créon. Elle a surtout peur de souffrir.

Tirade de Créon page 68 : "L'orgueil d'Œdipe [...] il n'y a pas si longtemps"

Quelques remarques

Dans cette tirade, Créon démontre que la fatalité est révolue. Le mythe est dévalorisé ainsi que le tragique. Il traite Antigone comme une enfant. Il prend la place de son père, il accuse Antigone de s'assimiler à Œdipe et donc d'obéir à la fatalité qui est cherchée par Antigone.

Commentaire

Introduction

Les gardes sont venus avec Antigone et Créon est bien embêté. Il est mis au défit par Antigone. Créon pense qu'Antigone imagine ne rien risquer à cause de sa qualité de fille d'Œdipe, Antigone nie, d'où l'expression l'orgueil d'Œdipe. Nous étudierons successivement Créon vis-à-vis du mythe par rapport à sa fonction de Roi et son attitude à l'égard d'Antigone.

I - Créon vis-à-vis du mythe par rapport à sa fonction de Roi

Créon reprend les éléments du mythe : "tuer votre père", "coucher avec votre mère", "apprendre tout cela après", "se crever les yeux", "aller mendier sur les routes", "un messager crasseux dévale ..." où l'on découvre le besoin de tête à tête avec le destin et la mort d'Antigone.

Le mythe est présenté avec un côté malsain : "breuvage", "boit goulûment", "avidement" comme si il procurait du plaisir lors de sa dégustation, ce qui est paradoxal : on prend plaisir avec ce qui va faire le malheur. Le registre familier est utilisé : "hein", ce qui a pour effet de désacraliser le mythe.

Quand on s'appelle Œdipe ou Antigone, l'orgueil, d'être au-dessus des autres, nourrit le plaisir. Le malheur humain, c'est trop peu pour eux. "l'humain vous gêne aux entournures dans la famille" : la nature humaine est trop étroite, ils sont à l'aise avec des choses qui n'arrivent pas aux autres.

"le plus simple après, c'est encore...", quelque chose qui a du être terrible pour Œdipe serait simple ? Oui : C'est tourner le dos à la vérité, il met un voile parce que la vérité est très aveuglante. Créon le traite de manière ironique, à la légère, il refuse ce mythe. Créon utilise le "votre" qui a pour effet de mettre Antigone dans le même panier que son père. Il utilise des infinitifs, qui généralisent comme si ça arrivait tous les jours. Le messager est dévalorisé : par l'adjectif "crasseux" et l'expression "dévale du fond des montagnes". "regarder ta tante sous le nez", pour vérifier l'identité de sa tante, expression familière qui dévalorise, confronter les dates est une attitude familière.

Conception du pouvoir de Créon : "Et bien non", on passe de l'époque du mythe au non-événement. Le pathétique éveille la pitié à l'égard des faibles, Créon dévalorise le tragique. Créon a une attitude réaliste : "les deux pieds par terre", "les mains [...] dans mes poches". Il est comme quelqu'un qui ferait son métier comme un paysan. Son objectif est de remettre de l'ordre dans le monde.

Étude Texte 6 : dernier échange entre Antigone et le garde ("Écoute... (p. 110) Et c'est à qui qu'elle est adressée ? (p. 117))

Tout d'abord, quelques remarques sur ce qui précède :

On remarque que le garde est omnibulé par son avenir, son avancement, il ne pense qu'à lui. Il emploie du vocabulaire familier. Il a quelque chose de comique qui est pitoyable, son discours est presque caricatural, Antigone ne s'y intéresse pas. Le garde en est dévalorisé. L'embrouillement des sonorités traduit l'embrouillement qui règne dans sa tête. Il est aux antipodes des pensées d'Antigone. Il est profondément indifférent à l'égard du tragique, comparable à l'indifférence de Créon qui se remet à sa tâche comme si rien ne s'était passé (voir p. 122). On remarque encore des anachronismes, notamment avec le terme "allocations".


Écart des tonalités entre les deux personnages

Attitude du garde dans ce passage :

Antigone a arrêté son discours : "Écoute." Le garde essaie de se mettre à l'abri de ce qu'elle dit ensuite, alors que ce qu'elle dit n'est pas banal et devrait renvoyer à sa propre mort. C'est comme si il était complètement imperméable à ce que dit Antigone, il poursuit son argumentation comme si elle (son argumentation) échappait complètement au garde. Le monde est indifférent, il laisse Antigone seule.

Tout ce qu'il lui dit constitue les éléments de son propre bonheur : la considération (= être reconnu), être presque un fonctionnaire. Mais on peut comprendre cela comme péjoratif sous le regard d'Anouilh et d'Antigone, son bonheur est constitué par du quotidien. Il crée un anachronisme (police // gendarmerie) (sergent // garde). Le garde répond sans tact comme si ça ne concernait pas Antigone. Il le dit de manière abrupte, par exemple : "pour ne pas se souiller", c'est une remarque inutile et blessante pour Antigone. On peut penser qu'il aurait été compréhensif avec Antigone s'il s'était arrêter à "Je ne sais pas" mais il poursuit et raconte des choses dont il n'est même pas certain et en plus, il raconte des choses horribles : "vous murer dans un trou" et il le dit directement comme si Antigone n'était pas concernée par ce sort.

Le garde possède une espèce de balourdise, ce qu'il fait qu'il se sent obligé de donner des précisions : "d'abord". Ceci est souligné par la didascalie : "Le garde se fait une chique", il s'en moque, il vit son petit bonheur. Lorsque Antigone le questionne sur le mal pour mourir : il ramène ça à lui. Ce qu'il dit est décribilisé : "Je ne peux pas vous dire" mais il le dit tout de même : "Pendant la guerre, ceux qui étaient touchés au ventre, ils avaient mal.", ça ne le dérange pas de dire des choses horribles comme elles ne le concernent pas : "Moi, je n'ai jamais été blessé". Il y a quelque part quelque chose d'odieux du garde envers Antigone, mais ce n'est pas par méchanceté, c'est par balourdise. Sans cesse, il revient à l'obsession de l'avancement, il est caricaturé, et ces répétitions doivent provoquer des rires. Le garde n'a pas d'épaisseur psychologique, au delà de son côté affectif, Créon n'a pas de grande profondeur.

Là encore, l'accent est mis sur le sort des gardes et non pas d'Antigone. Le garde insiste sur ce que va vivre les gardes qui surveilleront le "tombeau nuptial" d'Antigone, "en plein soleil". Il a pitié à l'égard de ceux qui vont devoir garder la caverne, et cette pitié est mélangée à une espèce de revendication, de râlerie. Il reste centré sur ces problèmes internes de fonctionnement. "Étonnez-vous", ce "vous" s'adresse à Antigone, c'est plus important pour lui que sa mort, il l'implique dans ces problèmes. Ça semble donner une importance considérable à tous ces problèmes. Quelque part, il recherche l'approbation explicite d'Antigone par les exclamatives : "Elle a bon dos, la garde !". La didascalie renvoie à la précédente : "qui a fini sa chique", Antigone est "soudain lasse".

Le discours du garde agit comme une mécanique indépendante d'Antigone alors que plus haut, on avait un désir de dialogue.

Antigone :

Ses questions à propos de sa mort vivante sont au cœur de l'essentiel. Elles expriment la teneur devant le sort qui l'attend par rapport à l'éloignement du garde. Elle va au plus direct : elle donne des réponses courtes.

Anouilh a voulu reprendre le désarroi d'Antigone, présent chez Sophocle, il utilise 3 fois "Ô". L'expression "lit nuptial" renvoie aux noces : elle se marie avec la mort, ce sera son mari, ceci connote comme une espèce d'amour envers ce destin. Parallélisme entre la nuit d'amour et la nuit de mort : Hémon va se tuer pour Antigone (p. 119). Le bonheur absolu ne peut qu'engendrer la mort. Ça montre bien que la mort était destinée au mariage. C'est ce bonheur suprême qu'elle évoquait précédemment pour désigner Hémon. Pour mourir, elle sera "toute seule", mais mourir avec Antigone ne la gênerait pas : "Elle s'entoure de ses bras". Elle peut être davantage elle même ? C'est quelqu'un qui a besoin d'absolu (comme un grand marin, un alpiniste de haute montagne...) et qui n'a donc pas peur de la mort. En quelque sorte, elle s'approprie la mort.

La Lettre

Le garde :

On note toujours cette même indifférence. En plus, ce n'est pas lui qui risque gros mais Antigone. Il demande si la bague qu'elle lui donne est en or, connote la corruption. La position de principe paraît simple : il est garde et sa cupidité plus sa corruption font qu'il transige. Le garde rejoint l'art de l'arrangement qui est celui de Créon. Le garde répète les phrases d'Antigone et les commente, il les écrit sans comprendre. Anouilh utilise un procédé comique : un élève qui écrit une dictée : "suce sa mine", "répète lentement", "peine sur sa dictée", "écrit suçant sa mine". Le fait de répéter de sa grosse voix qui devrait être pathétique dévalorise et désacralise sa lettre. Les commentaires du garde sont dévalorisants et ignobles. Anouilh en fait une espèce de généralisation qui efface le poids de la mort d'Antigone. Lorsque le garde lui dit que "C'est une drôle de lettre", il dévalorise les dernières paroles d'Antigone.

Évolution d'Antigone

D'une part, Créon est comme réhabilité : "Créon avait raison". Elle se rend compte que "c'était simple de vivre...". Et d'autre part, c'est se révéler, elle avoue qu'elle n'est pas si certaine et si intransigeante qu'elle le disait auparavant. Elle dit même "Pardon" pour ce qu'elle a fait, elle se rend compte qu'elle a fait une erreur, qu'elle a blessé Hémon et qu'elle a vécu pour elle même et non pas pour les autres. "Sans la petite Antigone, vous auriez tous été bien tranquilles." Elle se considère comme quelqu'un qui les empêche de vivre. La tranquillité, ça veut dire aussi que la petite Antigone est là pour rappeler qu'il faut vivre une vie absolue et non pas une vie pépère. Elle "raye" en quelque sorte sa peur par rapport aux autres. Mais est-ce qu'elle le raye dans son esprit ? Cette ambiguïté semble perçue par le garde qui dit "c'est une drôle de lettre." Et Antigone le lui confirme.

Quelque part, ça lui donne une humanité qu'elle n'avait pas auparavant, cela renforce le tragique de la pièce. En fait, le véritable destinataire de la lettre, c'est le spectateur, c'est un subterfuge pour connaître les états d'âmes d'Antigone.

Antigone de Jean Anouilh

 

Fiche signalétique d'Antigone :

Le texte de référence est celui publié par les Éditions de la Table Ronde, en 1999.

La pièce est composée sous sa forme quasi-définitive en 1942, et reçoit à ce moment l'aval de la censure hitlérienne. Elle n'est jouée la première fois que deux ans après, le 4 février 1944, au théâtre de l'Atelier à Paris, sans doute à cause de difficultés financières. Après une interruption des représentations en août 1944, due aux combats pour la libération de Paris, elles reprennent normalement.

Antigone sera ensuite à nouveau représenté à Paris en 1947, 1949 et 1950 mais aussi dès mai 1944 à Bruxelles, en 1945 à Rome, et en 1949 à Londres.

Le contexte historique :

Antigone est une pièce des années noires, lorsque la France connaît la défaite face aux armées nazies et elle tombe sous l'Occupation. Nous étudierons d'une part l'Occupation : la situation générale et ensuite la radicalisation du régime de Vichy et d'autre part les origines historiques de la pièce.

En 1942, Jean Anouilh réside à Paris, qui est occupée par les Allemands depuis la débâcle de 1940 et l'Armistice. La République a été abolie et remplacée par l'État français, sous la direction du maréchal Pétain. La France est alors découpée en plusieurs régions : une zone libre au Sud, sous l'administration du régime de Vichy, une zone occupée au Nord, sous la coupe des Allemands, une zone d'administration allemande directe pour les départements du Nord et du Pas-de-Calais, rattachés à la Belgique, une zone annexée au Reich : l'Alsace-Lorraine et enfin, une zone d'occupation italienne dans le Sud-Est (Savoie).

Refusant l'Armistice et le gouvernement de Vichy, le général Charles de Gaulle lance un appel aux Français le 18 juin 1940 depuis Londres et il regroupe ainsi autour de lui les Forces françaises libres (F.F.L.). C'est le début de la Résistance. Le 23 septembre 1941, un "Comité national français" a été constitué, c'est une première étape vers un gouvernement en exil. En métropole, la Résistance s'organise, tout d'abord de façon indépendante et sporadique (qui se produit occasionnellement), puis en se rapprochant de de Gaulle sous la forme de réseaux, comme Combat. En 1942, le mouvement a déjà pris une certaine ampleur qui se manifeste par des actes de sabotage et des attentats contre des Allemands et des collaborateurs ; l'armée d'occupation réplique par des représailles massives et sanglantes.

L'année 1942, marque un tournant décisif dans cette période. Les rapports de force se sont modifiés, car les États-Unis viennent de déclarer la guerre à l'Allemagne. En France, le 19 avril 1942, Pierre Laval revient au pouvoir après une éclipse d'un an et demi et accentue la collaboration avec Hitler. Dans un discours radiodiffusé le 22 juin 1942, il déclare fermement : "Je souhaite la victoire de l'Allemagne" et il crée le Service du travail obligatoire (S.T.O.) pour l'aider en envoyant des ouvriers dans leurs usines de guerre. La rafle du Vél. d'Hiv. le 16 juillet 1942 envoie des milliers de juifs, via Drancy, dans les camps de concentration de d'extermination.

Ce n'est qu'en 1944 que nazis et collaborateurs subissent de véritables revers. Le Comité national de la Résistance (C.N.R.), institué le 15 mai 1943, fédère les différentes branches de la lutte antinazie et prépare l'après-guerre. Le 6 juin 1944, le débarquement des Alliés en Normandie déclenche l'insurrection des maquis en France et organise la reconquête du territoire français. Paris se soulève avant le moment prévu et se libère seul fin août 1944.

Avant même que la guerre ne soit terminée, l'épuration se met en place : de nombreux sympathisants du régime de Vichy sont jetés en prison et condamnés, certains sont exécutés, parfois sans procès ; les milieux culturels (journalistes, écrivains et acteurs) ne sont pas épargnés. C'est dans ce climat troublé que de Gaulle regagne la France et en assure dans un premier temps le gouvernement.


C'est à un acte de résistance qu'Anouilh doit l'idée de travailler sur le personnage d'Antigone. En août 1942, un jeune résistant, Paul Collette, tire sur un groupe de dirigeants collaborationnistes au cours d'un meeting de la Légion des volontaires français (L.V.F.) à Versailles, il blesse Pierre Laval et Marcel Déat. Le jeune homme n'appartient à aucun réseau de résistance, à aucun mouvement politique ; son geste est isolé, son efficacité douteuse. La gratuité de son action, son caractère à la fois héroïque et vain frappent Anouilh, pour qui un tel geste possède en lui l'essence même du tragique. Nourri de culture classique, il songe alors à une pièce de Sophocle, qui pour un esprit moderne évoque la résistance d'un individu face à l'État. Il la traduit, la retravaille et en donne une version toute personnelle.

La nouvelle Antigone est donc issue d'une union anachronique, celle d'un texte vieux de 2400 ans et d'un événement contemporain.

Présentation de la pièce :

Il faut garder en mémoire que dans la pièce de Sophocle le personnage tragique n'est pas Antigone, mais Créon. Comme Œdipe, son neveu, dont il prend la suite, Créon s'est cru un roi heureux. En cela, il fait preuve de "démesure" (ubris, en grec), pour cela il doit être puni. Antigone est l'instrument des dieux, Hémon le moyen, Créon la victime. Lui seul est puni en fin de compte. La mort d'Antigone n'est en rien une punition, puisqu'elle n'a commis aucune faute, au regard de la loi divine - au contraire. La tragédie est celle d'un homme qui avait cru à son bonheur et que les dieux ramènent aux réalités terrestres.

Représentée dans un Paris encore occupé, Antigone à sa création a suscité des réactions passionnées et contrastées. Le journal collaborationniste Je suis partout porte la pièce aux nues : Créon est le représentant d'une politique qui ne se soucie guère de morale, Antigone est une anarchiste (une "terroriste", pour reprendre la terminologie de l'époque) que ses valeurs erronées conduisent à un sacrifice inutile, semant le désordre autour d'elle. Des tracts clandestins, issus des milieux résistants, menacèrent l'auteur. Mais simultanément, on a entendu dans les différences irréconciliables entre Antigone et Créon le dialogue impossible de la Résistance et de la collaboration, celle-là parlant morale, et celui-ci d'intérêts. L'obsession du sacrifice, l'exigence de pureté de l'héroïne triomphèrent auprès du public le plus jeune, qui aima la pièce jusqu'à l'enthousiasme. Les costumes qui donnaient aux gardes des imperméables de cuir qui ressemblaient fort à ceux de la Gestapo aidèrent à la confusion. Pourtant, même sur ces exécutants brutaux Anouilh ne porte pas de jugement : "Ce ne sont pas de mauvais bougres, ils ont des femmes, des enfants, et des petits ennuis comme tout le monde, mais ils vous empoigneront les accusés le plus tranquillement du monde tout à l'heure. Ils sentent l'ail, le cuir et le vin rouge et ils sont dépourvus de toute imagination. Ce sont les auxiliaires toujours innocents et toujours satisfaits d'eux-mêmes de la justice.". Et ne pas juger ces "auxiliaires de la justice", les excuser même, un an après la rafle du Vel'd'Hiv peut paraître un manque complet de sensibilité - ou la preuve d'une hauteur de vue qui en tout cas démarque la pièce de l'actualité immédiate.

Même si les positions politiques ultérieures d'Anouilh, et tout son théâtre, plein de personnages cyniques et désabusés, le situent dans un conservatisme ironique, on peut postuler qu'Antigone est en fait une réflexion sur les abominations nées de l'absence de concessions, que ce soit au nom de la Loi (Créon) ou au nom du devoir intérieur (Antigone). C'est le drame de l'impossible voie moyenne entre deux exigences aussi défendables et aussi mortelles, dans leur obstination, l'une que l'autre.

Structure de la pièce :

Anouilh a repris le cadre général de la pièce de Sophocle. Le rideau s'ouvre au petit matin sur la ville de Thèbes, juste après la proclamation du décret de Créon, au sujet duquel Antigone s'oppose à sa sœur Ismène. Créon apprend d'un garde que le corps de Polynice a reçu les hommages funèbres, puis voit Antigone amenée devant lui et la condamne à mort. Hémon vient supplier son père, sans succès et s'enfuit. Antigone fait une dernière apparition, puis marche vers la mort. Un messager apporte sur scène la nouvelle du suicide d'Hémon, puis de la reine. Le rideau tombe sur Créon, qui reste seul sur une scène dévastée.

Le texte d'Anouilh se présente comme une suite ininterrompue de répliques, sans aucune des divisions formelles qui font la tradition du théâtre français. Sans acte, sans scène, Antigone se veut dans sa présentation le récit continu d'une journée où se joue le destin de l'héroïne.

Anouilh ne se propose toutefois pas de révolutionner l'écriture théâtrale, et l'absence de divisions n'est qu'affaire de forme. La pièce se déroule de façon classique, rhytmée par les entrées et les sorties des personnages, qui permettent de restituer l'architecture traditionnelle des scènes et de proposer la numérotation suivante :

Pages

Scène

Personnages

9-13

1

Le Prologue

13-20

2

Antigone, la Nourrice

21

3

Antigone, la Nourrice, Ismène

22-31

4

Antigone, Ismène

31-36

5

Antigone, la Nourrice

37-44

6

Antigone, Hémon

45-46

7

Antigone, Ismène

46-53

8

Créon, le Garde

53-55

9

Le Chœur

55-60

10

Antigone, le Garde, le Deuxième Garde, le Troisième Garde

60-64

11

Antigone, les Gardes, Créon

64-97

12

Antigone, Créon

97-99

13

Antigone, Créon, Ismène

99-100

14

Créon, le Chœur

100-105

15

Créon, le Chœur, Hémon

105-106

16

Créon, le Chœur

106

17

Créon, le Chœur, Antigone, les Gardes

106-117

18

Antigone, le Garde

117-119

19

Le Chœur, le Messager

119-122

20

Le Chœur, Créon, le Page

122-123

21

Le Chœur, les Gardes

Les personnages de la pièce

Les relations entre personnages sont en partie imposées par le modèle de Sophocle et la mythologie. Les liens de parenté ne sont aucunement modifiés, et l'on retrouve le traditionnel tableau de famille des Labdacides.

Antigone :

Personnage central de la pièce dont elle porte le nom, Antigone est opposée dès les premières minutes à sa sœur Ismène, dont elle représente le négatif. "la petite maigre", "la maigre jeune fille moiraude et renfermée" (p. 9), elle est l'antithèse de la jeune héroïne, l'ingénue, dont "la blonde, la belle, l'heureuse Ismène" est au contraire l'archétype.

Comme Eurydice, comme Jeanne d'Arc dans L'Alouette, elle a un physique garçonnier, sans apprêts : elle aime le gris : "C'était beau. Tout était gris", "monde sans couleurs", "La Nourrice (...) Combien de fois je me suis dit : "Mon Dieu, cette petite, elle n'est pas assez coquette ! Toujours avec la même robe et mal peignée", Antigone le dit elle même : "je suis noire et maigre".

Opiniâtre, secrète, elle n'a aucun des charmes dont sa sœur dispose à foison : elle est "hypocrite", a un "sale caractère", c'est "la sale bête, l'entêtée, la mauvaise". Malgré cela, c'est elle qui séduit Hémon : elle n'est pas dénuée de sensualité, comme le prouve sa scène face à son fiancé, ni de sensibilité, dont elle fait preuve dans son dialogue avec la Nourrice.

Face à Ismène, Antigone se distingue au physique comme au moral, et peut exercer une véritable fascination : Ismène lui dit : "Pas belle comme nous, mais autrement. Tu sais bien que c'est sur toi que se retournent les petits voyous dans la rue ; que c'est toi que les petites filles regardent passer, soudain muettes sans pouvoir te quitter des yeux jusqu'à ce que tu aies tourné le coin." (pages 29-30)

Comme le basilic des légendes, dont le regard est mortel, Antigone pétrifie et stupéfait, car elle est autre. Son caractère reçoit cette même marque d'étrangeté qui a séduit Hémon et qui manque à Ismène, ce que Créon appelle son orgueil. Quelque chose en elle la pousse à aller toujours plus loin que les autres, à ne pas se contenter de ce qu'elle a sous la main : "Qu'est-ce que vous voulez que cela me fasse, à moi, votre politique, votre nécessité, vos pauvres histoires ? Moi, je peux encore dire "non" encore à tout ce que je n'aime pas et je suis seule juge." (p. 78)

Cette volonté farouche n'est pas tout à fait du courage, comme le dit Antigone elle-même (p. 28) ; elle est une force d'un autre ordre qui échappe à la compréhension des autres.

Ismène :

Elle "bavarde et rit", "la blonde, la belle" Ismène, elle possède le "goût de la danse et des jeux [...] du bonheur et de la réussite, sa sensualité aussi", elle est "bien plus belle qu'Antigone", est "éblouissante", avec "ses bouclettes et ses rubans", "Ismène est rose et dorée comme un fruit".

"sa sœur" possède une qualité indomptable qui lui manque : elle n'a pas cette force surhumaine. Même son pathétique sursaut à la fin de la pièce n'est pas à la hauteur de la tension qu'exerce Antigone sur elle-même : "Antigone, pardon ! Antigone, tu vois, je viens, j'ai du courage. J'irai maintenant avec toi. [...] Si vous la faites mourir, il faudra me faire mourir avec elle ! [...] Je ne peux pas vivre si tu meurs, je ne veux pas rester sans toi !" (pages 97-98).

C'est sa faiblesse même, et non sa volonté, qui la pousse à s'offrir à la mort. Antigone le voit bien, et la rudoie avec mépris : "Ah ! non. Pas maintenant. Pas toi ! C'est moi, c'est moi seule. Tu ne te figures pas que tu vas venir mourir avec moi maintenant. Ce serait trop facile ! [...] Tu as choisi la vie et moi la mort. Laisse-moi maintenant avec tes jérémiades." (page 98)

Les deux rôles féminins de la pièce sont diamétralement opposés. Ismène est une jolie poupée que les événements dépassent. Antigone au contraire est caractéristique des premières héroïnes d'Anouilh : elle est une garçonne qui dirige, mène et vit son rôle jusqu'au bout.

Créon :

"son oncle, qui est le roi", "il a des rides, il est fatigué", "Avant, du temps d'Œdipe, quand il n'était que le premier personnage de la cour, il aimait la musique, les belles reliures, les longues flâneries chez les petits antiquaires de Thèbes".

C'est un souverain de raccroc, tout le contraire d'un ambitieux. Besogneux et consciencieux, il se soumet à sa tâche comme à un travail journalier, et n'est pas si différent des gardes qu'il commande. "Thèbes a droit maintenant à un prince sans histoire. Moi, je m'appelle seulement Créon, Dieu merci. J'ai mes deux pieds sur terre, mes deux mains enfoncées dans mes poches, et, puisque je suis roi, j'ai résolu, avec moins d'ambition que ton père, de m'employer tout simplement à rendre l'ordre de ce monde un peu moins absurde, si c'est possible." (pages 68 et 69)

Au nom du bon sens et de la simplicité, Créon se voit comme un tâcheron, un "ouvrier" du pouvoir (page 11). Il revendique le manque d'originalité et d'audace de sa vision, et plaide avec confiance pour la régularité et la banalité de l'existence. Sa tâche n'est pas facile, mais il en porte le fardeau avec résignation.

Personnage vieilli, usé, il se distingue par sa volonté d'accommodement ; mais il avoue aussi avoir entretenu d'autres idéaux : "J'écoutais du fond du temps un petit Créon maigre et pâle comme toi et qui ne pensait qu'à tout donner lui aussi..." (page 91). Créon se considère lui-même comme une Antigone qui n'aurait pas rencontré son destin, une Antigone qui aurait survécu.

Les gardes :

Ce sont " trois hommes rougeauds qui jouent aux cartes", "ce ne sont pas de mauvais bougres", "ils sentent l'ail, le cuir et le vin rouge et ils sont dépourvus de toute imagination". Ces gardes représentent une version brutale et vulgaire de Créon. Leur langage sans raffinement, leur petitesse de vue en font des personnages peu sympathiques, dont les rares bons mouvements ne suffisent pas à cacher la peur de la hiérarchie ("Pas d'histoires !" revient souvent dans leur bouche). Sans être totalement réduits à l'état de machines, ils sont essentiellement un instrument du pouvoir de Créon, et rien de plus : "Le Garde : S'il fallait écouter les gens, s'il fallait essayer de comprendre, on serait propres." (p. 55)

Leur soumission à Créon n'est pas établie sur la base d'une fidélité personnelle. Ils sont des auxiliaires de la justice, respectueux du pouvoir en place, et ce quel que soit celui qui occupe le pouvoir. Le Prologue indique bien que rien ne leur interdirait de se retourner contre Créon, si celui-ci était déchu : "Pour le moment, jusqu'à ce qu'un nouveau chef de Thèbes dûment mandaté leur ordonne de l'arrêter à son tour, ce sont les auxiliaires de la justice de Créon." (p. 12)

Sans états d'âme, ils passent au travers de la tragédie sans rien comprendre, et le rideau tombe sur eux, comme il tombe dans Médée sur un garde et la Nourrice, après le suicide de Médée et le meurtre de ses enfants :

"Le Garde
On a fauché la semaine dernière. On va rentrer demain ou après-demain si le temps se maintient.

La Nourrice
La
récolte sera bonne chez vous ?

Le Garde
Faut pas se plaindre. Il y aura encore du pain pour tout le monde cette année-ci.

Le rideau est tombé pendant qu'ils parlaient."

C'est à travers eux que se manifeste le plus clairement le pessimisme aristocratique d'Anouilh.

Hémon :

Le "jeune homme", "fiancé d'Antigone", est le fils de Créon, c'est un personnage secondaire qui n'apparaît qu'en deux occasions, soumis à Antigone et révolté contre Créon ; ses propos sont courts et simples ("Oui, Antigone."), ou témoignent d'une naïveté encore enfantine. La peur de grandir se résume chez lui à l'angoisse de se retrouver seul, de regarder les choses en face : "Père, ce n'est pas vrai ! Ce n'est pas toi, ce n'est pas aujourd'hui ! Nous ne sommes pas tous les deux au pied de ce mur où il faut seulement dire oui. Tu es encore puissant, toi, comme lorsque j'étais petit. Ah ! Je t'en supplie, père, que je t'admire, que je t'admire encore ! Je suis trop seul et le monde est trop nu si je ne peux plus t'admirer." (p. 104)

Fiancé amoureux, enfant révolté, il est par son caractère davantage proche d'Ismène, à qui le Prologue l'associe, que d'Antigone.

Eurydice :

C'est "la vieille dame qui tricote", la "femme de Créon", "elle est bonne, digne, aimante", mais "Elle ne lui est d'aucun secours"

Le Page

Accompagnant Créon dans plusieurs scènes, il représente l'innocence émouvante, l'enfant qui voit tout et ne comprend rien, qui n'est pour l'instant d'aucune aide, mais qui, à son tout, un jour, pourrait bien devenir Créon ou Antigone.

"Créon
Ce qu'il faudrait, c'est ne jamais savoir. Il te tarde d'être grand, toi ?

Le Page
Oh oui, Monsieur !" (p.122)

La Nourrice :

Personnage traditionnel du théâtre grec, mais inexistant dans la pièce de Sophocle, elle a été créée par Anouilh pour donner une assise familière à la pièce, et davantage montrer l'étrangeté du monde tragique. Avec elle, ni drame ni tragédie, juste une scène de la vie courante, où la vieille femme, affectueuse et grondante, est une "nounou" rassurante, qui ne comprend rien à sa protégée : "Tu te moques de moi, alors ? Tu vois, je suis trop vieille. Tu étais ma préférée, malgré ton sale caractère." (p. 20). Elle "a élevé les deux petites".

Le Messager :

C'est un "garçon pâle [...] solitaire". Autre personnage typique du théâtre grec, il apparaît dans la pièce de Sophocle. Il se borne à être la voix du malheur, celui qui annonce avec un luxe de détails la mort d'Hémon. Dans le récit du Prologue, il projette une ombre menaçante : "C'est lui qui viendra annoncer la mort d'Hémon tout à l'heure. C'est pour cela qu'il n'a pas envie de bavarder ni de se mêler aux autres. Il sait déjà..." (p. 12)

Le Chœur

 Ce personnage joue aussi le rôle de messager de mort, mais son origine le rend plus complexe. Dans les tragédies grecques, le chœur est un groupe de plus d'une dizaine de personnes, guidé par le personnage du Coryphée. Il chante, danse peut-être, et se retrouve le plus souvent en marge d'une action qu'il commente.

Dans Antigone, le Chœur est réduit à une seule personne, mais a gardé de son origine une fonction collective, représentant un groupe indéterminé, celui des habitants de Thèbes, ou celui des spectateurs émus. Face à Créon, il fait des suggestions, qui toutes se révèlent inutiles.

"Ne laisse pas mourir Antigone, Créon ! Nous allons tous porter cette plaie au côté, pendant des siècles. [...] C'est une enfant Créon. [...] Est-ce qu'on ne peut pas imaginer quelque chose, dire qu'elle est folle, l'enfermer ? [...] Est-ce qu'on ne peut pas gagner du temps, la faire fuir demain ?" (pages 99 à 102)

Comme dans le théâtre antique, le chœur garde également une fonction de commentateur. Isolé des autres personnages, il se rapproche du Prologue : il scande l'action pratiquement dans les mêmes termes. "Et voilà. Maintenant le ressort est bandé. Cela n'a plus qu'à se dérouler tout seul." (p. 53) "Et voilà. Sans la petite Antigone, c'est vrai, ils auraient tous été bien tranquilles. Mais maintenant, c'est fini." (p. 122) Son "voilà" bat la mesure d'un mouvement que le "Voilà" du Prologue avait mis en branle.

Autres personnages :

- "les deux fils d'Œdipe, Etéocle et Polynice" : "se sont battus et entre-tués sous les murs de la ville" :

- "Etéocle l'aîné" : " le bon frère", "le fils fidèle d'Œdipe", "le prince loyal", il a eu d'imposantes funérailles
- "Polynice, le vaurien, le voyou", "mauvais frère", "il a toujours été un étranger" pour sa sœur Ismène, "un petit fêtard imbécile", "un petit carnassier dur et sans âme", "une petite brute tout juste bonne à aller plus vite que les autres avec ses voitures, à dépenser plus d'argent dans les bars.", il a été laissé à pourrir dehors.
- mais, en vérité, ce sont tous les deux des crapules : Etéocle "ne valait pas plus cher que Polynice", "deux larrons en foire", "deux petits voyous"

- "Madame Jocaste" maman d'Antigone
- Douce, sa chienne

Jean Anouilh :

Jean Anouilh (1910 - 1987) est un auteur d'athée, qui représente la vieille France éternelle. En 1959, quinze ans après Antigone, il choisit une voie nouvelle et suit les pas de William Shakespeare (1564-1616) - poète et dramaturge anglais, auteur d'une des plus grandes œuvres de la littérature universelle - en écrivant Becket ou l'Honneur de Dieu, l'histoire est donc à nouveau prétexte à une création originale. La pièce, qui obtient un triomphe dès sa première représentation, sera adaptée au cinéma en 1964, puis reprise en 1971 à la Comédie-Française. C'est la scène la plus bouleversante du théâtre contemporain. Bruno Cremer et Anouilh forment un couple, Anouilh est comme un petit-frère pour Cremer. Chez Anouilh, la psychologie n'a pas d'importance. Shakespeare - pour Anouilh, c'est une lointaine connaissance - lui donne une leçon de liberté théâtrale. Dans Hamlet (extrait), la scène de la mère est comme une obscession.

De 1915 à 1928 : son père était immobilisé pour la Grande Guerre, il était seul avec sa mère, pianiste et violoniste, il pouvait donc aller partout. C'est un enfant qui ne peut s'endormir sans le retour de sa mère.

Son théâtre fait froncer le nez des intellectuels.Louis Jouvet
Dans L'arrestation, il a dit (lors d'un entretien)que ça pue l'amour avec des casinos bien propres. C'est la pièce la plus complexe du théâtre français, Anouilh a réussi à faire dialoguer tous les personnages de son œuvre.
Dans Colombe, il exprime qu'"il n'y a d'amour qu'absolu" et que la famille c'est ignoble.
En 1932, dans l'Hermine, jouée entre autre par Pierre Fresnay, il exprime le "non" à la vie, que les choses laides, toutes les images sales, tout les tristes mots restent à jamais gravés dans nos mémoires, et qu'"on est jamais sincères". Lui même a subi la blessure inguérissable de la pauvreté et Louis Jouvet a approfondi sa blessure en l'appelant "le miteux". Anouilh dit qu'il a un œuil de faune. Anouilh est accueilli par Georges Pitoëff vers 1936-1937, Anouilh avait alors avec lui le Voyageur sans bagages. Ils ont passé deux heures extaordinaires ensemble, ils étaient aussi timides l'un que l'autre. Pitoëff est dans le Cartel, le plus grand découvreur qui existe. Les Pitoëff montent et jouent la Sauvage d'Anouilh (écrite en 1934).
Anouilh rencontre ensuite André Barsacq sur la scène de comédie des Champs-Élysées, le futur metteur en scène d'Antigone, c'est "le seul compagnon de ma jeunesse" écrit Anouilh. Ils avaient qu'un an de différence d'âge.
Ils connaissent un succès triomphal en 1938 avec Le Bal des voleurs que monte André Barsacq. Ils sont tous les deux myopes et ont donc des lunettes. Et Ils sont complémentaires si bien qu'ils sont appelés "les jumelles".
Barsacq était le disciple de Charles Dullin, un personnage exceptionnel. C'était alors la Belle Epoque, une époque de poètes.

Pour Anouilh, le théâtre était un lieu hanté, palpable seulement par lui, le seul lieu où la vie humaine est stable. C'était sa demeure principale, le lieu qui lui convenait par execellence, le lieu où il réalisait ses fantasmes et où il a rencontré toutes les personnes qui ont été importantes dans sa vie, des gens innatendus comme Jean Vilar, alors que leurs chemins étaient opposés.

En 1944, Antigone fit un coup de tonnerre, où Suzanne Flon a joué dans le rôle d'Ismène et où Barsacq a réalisé la mise en scène. La pièce a été jouée à la lumière du jour, par un froid de canard, elle était éclairée grâce à un système de miroirs et lors de la fin de la pièce, le soleil se couchait et la nuit tombait. C'était un courage inouï de jouer une pièce sur la révolte alors que la France était occupée. Antigone a été un évènement sublime alors que personne ne croyait à la pièce, pas même Anouilh et Barsacq, et personne n'avait applaudi lors de la première représentation à la fin de la pièce. Anouilh lui même regrettait d'avoir écrit Antigone et il disait que c'était catastrophique pour lui. Un soir, Anouilh et Barsacq ont distribués des tracts de Résistance, ce qui a étonné les spectateurs, mais la presse clandestine accuse Anouilh de collaboration. Le public était partagé, la pièce avait une résonnance étrange. Anouilh se défend d'avoir sympathiser avec les pro-nazis, mais il affiche une certaine compassion pour les vaincus et dénonce les excès de l'épuration. Il organise d'ailleurs, une campagne de signatures pour sauver l'écrivain collaborationniste Robert Brasillach qui a été condamné à mort en février 1945, mais sa tentative a échouée et son exécution le marque profondément. Sa vision devient extrêmement noire.

En 1956, il écrira une pièce sur Robespierre, alors qu'il n'accrochait pas tellement et qu'il avait grommelé, qu'il a intitulé Pauvre Bitos ou Le Dîner de têtes. Le personnage de Bitos était une sorte d'insecte pour Anouilh et il devait parler d'une voix fausse. Il y dénonce les procès politiques - y compris ceux de la Libération. C'est sans doute pourquoi, la pièce a fait un scandale. Il y a même des gens qui tapaient avec leurs cannes sur sa voiture. Gautier l'accuse de fascisme. Les spectateurs sortent en colère mais ils en sont contents. Anouilh dit lui-même que l'étiquette politique qu'il porte est absolument scandaleuse. Il va porter la blessure de cette pièce pendant un cetain temps. Ensuite, il en riait avec son "rire du sage", et il a choisi le comique avec Ardèle ou La Marguerite.

L'époque de l'épuration lui a donné une image noire des humains. Sa vision est devenue encore plus noire lorsqu'il a essayé de trouver des signatures pour sauver Robert Brasillach, le rédacteur en chef de Je suis partout pendant l'Occupation, et qu'il a échoué, la feuille était presque vide de signatures. Brasillach fut fusillé pour faits de collaboration.

Dans L'Hurluberlu ou Le Réactionnaire amoureux, son rire est très célinien. Ce regard est servi en même temps par Georges Feydeau. Il n'y a que lui qui a parlé de la condition humaine.

Anouilh avait une grande tendresse envers Marcel Pérez : "Point de Pérez, point de salut" (J. Anouilh)

Il écrit ensuite Le Boulanger, La Boulangère et le Petit Mitron. Anouilh aurait aimé être acteur, Périer écrit : "Il était jaloux de ne pas pouvoir le faire". Il aurait adoré être acteur et auteur mais il n'a peut-être pas osé à cause de sa timidité. On remaque dans son théâtre que ses didascalies sont précises, c'est d'ailleurs le lien rêvé entre le public et l'acteur, lien difficile, faire des pièces de théâtre n'est pas comme être écrivain.

Lors des répétitions de L'Arrestation, il insiste pour que le mystère soit là, pour ne pas qu'il y ait du policier. Pour Anouilh, il n'y a rien de définitif au théâtre, il faut essayer. Quelqu'un d'ailleurs lui a dit qu'"Il fallait faire des pièces comme on fait des meubles." Lors des répétitions générales, il disparaissait discrètement sans que les acteurs s'en rendent compte. Les acteurs et les décorateurs forment une vraie famille avec Anouilh. Un d'entre eux a raconté qu'a partir de la déformation de la caricature, il fait du vrai, qu'"Il a un muscle fantastique", les acteurs sortent épuisés d'une pièce d'Anouilh. Pour lui, la caricature est l'expression éclatée, exacerbée du personnage ; la réaction c'est rigolo, ce n'est pas si grave ; et les personnages de théâtre forment un monde d'insectes, représentatif d'une caricature de l'homme. Dans Le Scénario, il a montré ce qui s'est passé dans sa tête à un moment précis. C'est le premier auteur de vraie dérision. Il a d'ailleurs soutenu Ionesco, qui était pour Jean-Jacques Gautier, "un plaisantin". Les Poissons rouges est une pièce goguenarde.

Anouilh était narchiste (veut un pouvoir autoritaire, opposé à anarchiste) et défendu par les gens de droite, les conservateurs. Pour lui, les personnages sont des masques. Anouilh a une tête de guignol, il fait un théâtre de singe, mais c'est beau.

 

 

III - Procédés d'écriture :

Il marque une opposition entre deux thèses, il utilise des questions oratoires, des exemples précis, des modalisateurs : "il est facile de croire" et il oppose deux vocabulaires : appréciatif et dépréciatif, il fait des comparaisons avec l'abeille et la fourmi : " la ruche ou de la fourmilière" (l. 29) et il amorce un argument d'autorité : lorsque l'on s'appuie sur quelqu'un d'autre, il n'a pas besoin de redémontrer que l'esclavage est désastreux, ses prédécesseurs l'ont fait.

La tragédie classique

Les personnages sont la plupart du temps des nobles, légendaires ou réels -héros antiques, rois...- qui se lamentent face à leur destin. L'époque de la tragédie est biblique ou antique. Elle se déroule souvent dans un lieu unique comme une pièce de palais et elle dure au maximum une journée. La pièce est écrite en alexandrins et en cinq actes. L'effet recherché par la tragédie est d'inspirer la terreur et la pitié et provoque ainsi une purification des passions (la "catharsis"). Son dénouement est souvent malheureux, en général, c'est la mort. Elle aborde des thèmes comme la passion, la vengeance et l'héroïsme. Les deux auteurs principaux sont Corneille, après 1640, et Racine. La mort n'est jamais représentée sur la scène à cause de la règle de bienséance.

ANTIGONE



On ne peut aborder l'étude d'Antigone de Sophocle sans évoquer le talent inouï du prince des dramaturges qu'est Sophocle. Car enfin quelle science du comportement humain, quelle virtuosité réthorique quelle sensibilité esthétique ! Il n'est pas un mot dans le bouche des héros de Sophocle qui ne nous touche.
Antigone plus encore que toutes autres pièces manifeste l'étendue de l'admirable art de Sophocle, pièce dont les résonnances modernes nous sont encore perceptibles en ce début de troisième millénaire.

Pour bien aborder l'étude de cette oeuvre, il est hautement préférable de bien connaître l'histoire des Labdacides. Je pourrais évidemment conseiller de se reporter à un dictionnaire de mythologie, mais il m'apparaît éminemment plus profitable pour les élèves d'aller chercher aux sources elles-mêmes l'origine du mythe.
C'est donc vers les auteurs tragiques grecs à commencer par Sophocle lui-même que je me suis tourné :

Lectures préliminaires :

Auteurs grecs :
Oedipe-roi de Sophocle
Oedipe à Colonne de Sophocle
Les Sept contre Thèbes d'Eschyle
Les Phéniciennes d'Euripide

Je conseillerai aussi aux élèves de lire certaines des reprises modernes qui ont été faites de la légende des Labdacides.
Reprises par des auteurs modernes :
La Thébaïde de Jean Racine
Antigone d'Hölderlin
Antigone d'Anouilh

Je me suis appuyé sur plusieurs auteurs d'analyses pour concevoir cette ébauche de cours, aussi dois-je leur rendre justice en les citant et en recommandant la lecture de leurs ouvrages.
Bibliographie :
Esthétique III de Hegel
Poétique d'Aristote
Remarques sur Antigone de Hölderlin
Sophocle de Jacques Lacarrière
D'Antigone à Socrate d'André Bonnard.
La naissance de la tragédie de Friedich Nietzsche.
Le crépuscule des idoles de Friedich Nietzsche
Antigone de Sophocle (édition avec dossier) collection GF par Charles Guittard et Robert Pignarre
Je dois aussi préciser que la conception du cours a fait l'objet de débat sur le forum fr.lettres.langues-anciennes.grec.

Plan d'étude du cours :

Lecture d'Oedipe-Roi et questionnaire (chaque question devra faire l'objet d'une réponse détaillée qui excédera 10 lignes ) :

1.Quel fléau touche Thèbes ? Pourquoi ?
2.Dressez le tableau de la famille d'Oedipe à travers la pièce en précisant la nature des liens.
3.Avec quel devin Oedipe rentre-t-il en conflit ? Que s'en ensuit-il ?
4.A la lecture de l'oeuvre, que pouvez-vous dire sur le thème de la vision ? Pourquoi ?
5.Qu'apprenez-vous d'Antigone dans l'oeuvre, que pouvez-vous dire de son attitude ? Que représente-t-elle pour Oedipe ?

Lecture d'Oedipe à Colone et questionnaire dans les mêmes conditions que précédemment :

1.Quelle fonction remplit Antigone auprès d'Oedipe dans le prologue ? Que pouvez-vous dire des sentiments qu'elle éprouve pour son père (appuyez-vous sur tout le texte de l'oeuvre) ?
2. Qu'Oedipe et Ismène nous apprennent-ils sur les fils d'Oedipe ? Comment ce dernier les juge-t-il ?
3.Quels sont les arguments de Créon pour convaincre Oedipe de revenir à Thèbes ? Dressez en une liste en les distinguant selon leur nature.
4.Qui est Thésée ? Comment accueille-t-il Oedipe ?
5. Quel est le but d'Antigone après la mort de son père ?

Lecture des Sept contre Thèbes d'Eschyle et questionnaire :

1.Qui est Cadmos ?
2.Résumez le discours Amphiaraos : en quoi vous semble-t-il différer des autres assaillants ? Que pense Etéocle de lui ? 3. Quel vous semble être le héros principal de cette pièce et en quoi vous semble-t-il particulièrement héroïque ?
4.Comment le coryphée réagit à la perspective d'un conflit armé entre Etéocle et Polynice ?
5.Etudiez le personnage d'Antigone : en quoi vous semble-t-il annonciateur de l'Antigone de Sophocle ?

Plan d'étude de l'oeuvre :

Etude du prologue

I] une scène d'exposition toute en contrastes
- opposition de caractères (Ismène-Antigone)
- opposition de statuts (isolement d'Antigone, puissance de Créon)
II] La souillure au coeur de l'action dramatique
- cadavre de Polynice pourrissant
- rappel de la guerre civile
Etude de l'Episode II
I] Un agôn sans concession
- étude de l'argumentation d'Antigone
- étude de l'argumentation de Créon
- la force de la transgression
II] Deux folies intransigeantes
- haine de Créon pour un cadavre
- Antigone jusqu'à la mort pour un principe
- commentaire du philosophe Hegel (droit de la cité et droit familial)
III] L'instant tragique - Des héros seuls dans une cité désertée des dieux, analyse nietzschéenne, le surhomme.
- Deux ordres pour un seul droit (ordre civique, ordre familial)
- Relecture hölderlinienne de la Poétique d'Aristote (état natif du héros/état culturel) la tragédie consiste en ce que la culture accomplit l'état naturel, natif du héros.
Etude de l'Episode III
I] Discours de Créon
- la voix de la rhétorique
raisonnements inductif et déductif, dialectique ascendante et descendante.
II] Discours d'Hémon
- la voix de la raison, la voix de la cité
III] Au nom de l'amour...
Un scandale.
Etude de l'Episode V
I] Puissances d'En-haut, puissances d'En-bas.
- rituels de divinations en Grèce antique (Analyse du premier discours de Tirésias)
- le don de Tirésias
II] Le sacrilège de Créon. (analyse du second discours de Tirésias)
- signes infernaux.

Etude des stasima I, III et V.

PROLOGUE

Résumé : à l'orée de l'Aube, Antigone demande à Ismène de l'aider à ensevelir Polynice, en dépit de l'interdiction du roi Créon.

I]°Une scène d'exposition toute en contrastes
- Opposition entre deux caractères féminins, Ismène et Antigone Le caractère intraitable d'Antigone se manifeste d'emblée :"laisse moi courir mon risque, moi et ma folie" dit Antigone à sa sœur Ismène dès les premières répliques."sache alors qu'en dépit de ta folie tu restes chère à ceux qui t'aiment" lui répond Ismène.
Antigone accomplit un acte inutile mais nécessaire : inutile parce qu'il ne peut plus empêcher la souillure de la cité, nécessaire parce qu'il peut de ce fait se situer sur le plan du principe et non de l'utilitarisme.
- Opposition entre les puissants et les humiliés :
D'un côté Antigone, fille d'oedipe sur laquelle pèse la lourde hérédité des Labdacides, jeune fille, démunie et sans force - même sa sœur Ismène lui refuse son concours - de l'autre un roi puissant, nouveau seigneur d'une cité en armes, puisqu'elle ressort d'une guerre victorieuse, Créon qui use selon son bon vouloir des lois de la cité dont il est d'ailleursla manifestation politique.
II] La souillure au cœur de l'action dramatique
Le spectateur apprend avant même le chœur l'origine de l'action dramatique :
Un soldat mort dont le cadavre pourrit hors de Thèbes.
L'évocation de la pourriture est saisissante dans l'Episode I, telle que la rapporte le garde à Créon, puisque ce dernier en est incommodé. L'action qu'il rapporte se situe nécessairement entre le prologue et le 1er épisode, peut-être même au même moment que le prologue. Il s'y rattache donc à bien des égards et donne surtout de la force à la décision préalable d'Antigone, puisque la jeune fille, elle s'est approchée du cadavre qui incommodait les gardes.

EPISODE II

Etude des αγνες

I] Un agôn sans concession.
Créon et Antigone argumentent sans consession et pied à pied :
Argumentation d'Antigone :
- liens du sang (Polynice est son frère )
- aguments religieux (devoirs qui doivent être rendus à un mort, Hadès )
- la morale ne s'applique qu'aux vivants.
- - l'amour est universel "je suis faite pour partager l'amour et non la haine".

Argumentation de Créon
- aux liens du sang, Créon répond par les liens du sang : Etéocle dont le sang réclame vengeance est aussi le frère d'Antigone.
- Il n'est pas bon de se démarquer de l'attitude commune
- Le justice doit être rendue : il ne convient pas, même dans la mort de mettre sur un même plan le criminel et le juste.
- - la vengeance doit se poursuivre jusque dans la mort.
Créon procède constamment par parallélismes et comparaisons.

Il ne suffit pas à Créon qu'Antigone reconnaisse son crime, il veut aussi qu'elle reconnaisse ses torts. En définitive, c'est à Antigone elle-même qu'il s'en prend, quittant le champ de la responsabilité des deux frères.
De fait la stychomythie ne fait que préciser les positions respectives.
Antigone a fait son choix depuis longtemps :
Celui de partager l'amour et non la haine, ainsi qu'elle le dit elle-même : sa vie est finie, puisqu'elle l'a consacrée aux morts, et ce n'est pas Créon qui la contredira puisque dans une impitoyable ellipse il déclare à propos du mariage d'Hémon et d'Antigone :
"Hadès lui-même va prononcer la rupture"
Antigone est emmenée d'où le stasimôn sur les malheurs des Labacides.
Le 2nd agôn qui suit est bien pâle (Créon contre Ismène) en regard du premier.
Pour mémoire, une stychomythie est un passage où les protagonistes se répondent vers à vers.
L'interdiction d'enterrer Polynice est réaffirmée une seconde fois=> contraste entre entre l'ordre et sa transgression.
La transgression est très forte et les puissances infernales ne peuvent se satisafaire de l'acte d'Antigone, simple jeune fille, fût-il fait deux fois. Les conditions presque surnaturelles dans lesquels se déroule le rituel d'ensevelissement, au milieu d'une tempête inexplicable offre toutes les caractéristiques d'un prodige.
Créon devra lui-même accomplir le rituel pour calmer ces puissances.

II]La folie de l'oncle et de sa nièce.

Créon et Antigone essaient à toute force d'engager les dieux dans leur bras de fer. Chacun donne à ses principes ( droit du γ
νος qui exige d'accomplir le rituel funèbre afin de garantir la cohésion de la famille dans ses relations avec les dieux contre droit de la πολς ( qui exige que les décisions de l'autorité politique soit respectées afin de garantir la cohésion civique ) une valeur absolue bien au-delà de la destinée immédiate de Thèbes.
Créon :"malheureuse fille d'oedipe est-ce bien toi Antigone, est-ce toi qui t'es rebellée contre les ordres de Créon ? Est-ce vraiment toi qu'on a surprise en pleine crise de folie ?
Et Antigone de répondre :"Subir la mort, pour moi n'a rien d'intolérable. L'intolérable c'est de laisser pourrir sans tombeau le corps de mon propre frère, oui, c'est cela pour moi, l'intolérable. Mais maintenant ma conscience est en paix. Tu penses que je suis folle, mais le vrai fou, en vérité, c'est celui qui me traite de folle."
L'acharnement avec lequel chacun agit, Antigone jusqu'à la mort, Créon jusqu'à la haine dessine une seconde tragédie par deçà la première, celle d'un roi fou contre une jeune fille folle.
Le philosophe Hegel écrit dans l'Esthétique III, 3 : "tous deux enferment en eux-mêmes ce contre quoi ils s'élèvent chacun tour à tour et sont brisés par cela même qui appartient au cercle de leur propre existence".
En agissant ainsi, chacun à sa manière accomplit l'acte d'hybris contre lequel le chœur énoncera une mise en garde pourtant dans le stasimon qui suivra.

III] L'instant tragique .
1°) "seuls parmi les dieux"
Récit du garde qui évoque la décomposition du corps puis le tourbillon.
En dépit de cette manifestation, les dieux ne paraissent plus que l'image d'un verdict impersonnel, d'un mécanisme inéluctable contre lequel Antigone et Créon se savent également démunis. Privés de l'attention particulière de dieux, les héros se retrouvent seuls dans une cité désertée par les dieux, sans oracle ni signes divins, ou chacun doit décider seul pour soi et sa cité.
Face à ce silence des dieux, ce sont les formes rationnelles du tragique ( rhétorique, dialectique, justification) qui permettent aux héros de se résoudre à cette mort des divinités. On songe alors aux surhomme nietzschéen qui décide de prendre en charge seul sa destinée en édictant des lois nouvelles.
2°) deux ordres pour un seul droit
Antigone et Créon incarnent deux ordres, l'un naturel, l'autre positif qui s'afrrontent mais ne vont pas l'un sans l'autre. L'épisode II tout entier illustre cette dialectique sur laquelle la pièce est fondée. Le tragique repose sur la méconnaissance de l'odre opposé, droit de la communauté ou de l'état contre droit de l'individu ou de la famille, par les deux protagonistes. Ils sont donc victimes de leur refus d'accepter les lois divines et humaines qui s'imposent à tout individu. Créon est fermé à des dieux dont le fonction première ne serait pas d'assurer la stabilité de l'Etat. L'ordre qu'il nous propose est celui d'un Etat auquel serait assujetti tous les vivants.
Face à cette morale toute politique, Antigone oppose une éthique inscrite au coeur de la conscience, sans lois écrites qui apparaît commeun donnée absolue. La disctinction entre bien et mal telle que le conçoit l'ordre politique doit s'effacer devant cette éthique. En mourrant, Antigone témoigne que cette éthique est supérieure à la vie.
3°) Une ligne rouge dans le brouillard.
Créon et Antigone sont tous deux d'ascendance divine : à suivre Hölderlin dans sa relecture de la Poétique aristotélicienne, on peut voir dans ce fait l'état natif de ces deux personnages : de ce fait, édicter des lois, privilège divin est l'émanation de leur nature. Mais ces édictions vont contre les lois divines existantes (lois de la cité=Cadmos=Zeus, contre le devoir rendus aux morts). L'état natif des deux héros ne peut occulter leur double nature fondamentale qui est d'être aussi pour partie des mortels. L'hybris est donc inévitable, car édicter ces lois nouvelles c'est heurter de front les dieux et rentrer en conflit avec eux. De surcroît, c'est à leur propre insu que les héros accomplissent cet acte mus par la partie de leur essence qui est divine. Il existe une ligne rouge, dans un brouillard épais qui sépare le monde des hommes et des dieux que le mortel ne peut franchir impunément : c'est pourtant ce que font Créon et Antigone, sans le réaliser aveuglés par leur nature humaine. A plus d'un égard, les décisions de l'un et de l'autre sont des anticipations du jugement divin.
Anisi va la condition tragique de ces deux héros écartelés entre leur deux natures qui ne sont à leur place ni dans le monde des hommes, ni dans le monde des dieux. Aristote écrit dans la Poétique :
τχνη μιμεται τν φσιν , l'art imite la nature, mais un peu plus moin il précise τ μν πιτελε φσις δυνατε περγσασθαι, τ δ μιμεται."d'un côté l'art mène à son terme ce que la nature est incapable d'œuvrer, de l'autre il l'imite". On peut relire tout comme Hôlderlin cette réflexion d'Aristote et l'appliquer au tragique chez Sophocle, pour constater que l'essence tragique de la tragédie sophocléenne, c'est de mener le héros au terme de son état natif, par un effort de culture, c'est à dire d'imagination. Ainsi toute la tragédie sophcoléenne serait sous-tendue par une dialectique secrète entre culture et nature.

EPISODE III

Créon contre Hémon 3ème épisode

αγ
ν très équilibré entre Hémon et Créon. Loi morale fondée sur obéissance contre amour ( d'où le stasimon qui suit )

Etude des deux thèses.
Hémon domine Créon dans cet agôn : pluisuers arguments demeurent sans réponse.
Créon aggrave ses torts en revandiquant un pouvoir personnel et non le bien de la cité. Antigone lui avait déjà fait une remarque à ce sujet dans l'épisode II.
Il ne sait pas écouter en Hémon à la fois la voix de la cité et celle de la raison. Plus tard, il se résoudra, mais trop tard à écouter la voix des dieux, par la bouche de Tirésias.
Créon : "Une cité n'appartiendrait pas à son chef ?"
Hémon: "si à condition de régner seul dans un désert"
I] Discours de Créon
- Devoir du fils envers le père
- L'amour n'est qu'un plaisir (négation de la valeur intrinsèque de l'amour)
- A fortiori un mauvais amour éprouvé de surcroît pour une méchante femme (il est intéressant de constater la progression de Créon qui va du général au particulier => amour=>plaisir=>mauvais amour=>méchante femme).
- Devoir du roi envers le peuple, paix civile. L'argument pourrait se tenir puisque Thèbes sort d'une guerre civile. Suit un développement sur les devoirs d'un bon citoyen et la nature de l'anarchie. Créon cette fois progresse du particulier au général : après avoir présenté Anitogne comme une rebelle, il expose l'anti-Antigone, c'est à dire le bon citoyen, puis les conséquences des actes de rebellion, c'est à dire l'anarchie. Ainsi se trouve assuré l'équation Antigone = anarchie.
Le raisonnement est remarquable bien construit, au point d'ailleurs qu'il emporte l'assentiment du coryphée dans un premier temps.

II]Discours de Hémon :
Hémon associe fort subtilement la raison et les dieux. En procédant ainsi, il s'assure que parler par la voix de la raison c'est parler au nom des dieux.
Hémon a bien compris la nature parfois paranoïaque du discours de Créon qui voit des ennemis partout. Aussi entoure-t-il son discours de précautions oratoires : " je ne saurais affirmer que tu as tort". Non moins habilement, il présente son discours comme rapporté, c'est à dire ce qu'il a entendu dans les rues de Thèbes. Il se pose ainsi en représentant du peuple, par un curieux retournement, alors même que Créon a déjà fait valoir qu'il agissait au nom du peuple : n'a-t-il pas dit "l'élu d'un peuple doit être écouté en toutes choses".
Hémon va donc plaider pour Antigone au nom de la ville.
Dans la suite de son discours, il renvoie Créon à l'argument familial en l'invoquant à son tour pour faire valoir, dissipant ainsi les craintes de Créon que le fils désire le bonheur du père.
Il peut alors engager sa critique en montrant à Créon que sa prétention à croire tenir seul la vérité le mène à l'isolement.
Pour affermir son raisonnement, il le ponctue de deux métaphores fortes, celles de l'arbre et du roseau, toujours célèbres, et un topos, qui est celle du pilote du navire pour désigner une cité et son roi. III] Au nom de l'amour...
Jusque là nous sommes dans une opposition politico-philosophico-religieuse entre Antigone et Créon, entre Créon et Hémon. Et voilà le scandale :
Hémon, à qui Créon a promis Antigone (un peu pour asseoir sa légitimité) est AMOUREUX d'Antigone - à quoi Créon répond (assez platement sinon vulgairement, disons-le) : "Il est d'autres champs à labourer". Mais Hémon aime Antigone, et c'est pour cela qu'il ira se pendre dans la grotte où on a enfermé celle-ci. La femme, pour Créon, n'est qu'un instrument à fonder une légitimité; Hémon se scandalise de l'attitude de son père.
Et pourtant Hémon rougirait de plaider pour sa fiancée et plus encore pour lui-même. Hémon est épris de justice et ne plaide en définitive que pour cette dernière et son père. L'honneur lui ordonne de maîtriser sa passion, de ne parler qu'au nom de la raison.
Ce n'est que son explosion dans les dernières répliques qui manifestent à la fois son sens de l'honneur et son amour pour Antigone.
Et la rage de Créon ne nous dit pas seulement à quel point l'individu est borné mais nous révèle aussi l'attachement du père pour le fils...
Assez moderne comme conception, non ? En tout cas, nettement différent de l'attitude d'Eschyle, en général, et plus proche (annonciateur ?) de celle d'Euripide.
On comprend mieux alors le στασιμον qui suit, ode à Ερως et au pouvoir de l'amour.

EPISODE V

La prédiction de Tirésias

Les dieux étaient jusqu'à alors demeurés silencieux. Les avertissements de Tirésias sonnent leur réveil.

I] Puissances d'En-haut, puissances d'En-bas.
On distingue deux types de rites lors du sacrifice d'un animal : soit le sang de l'animal est orienté vers le ciel et dans ces conditions il s'agit d'un sacrifice de type ouranien (ouranos= le ciel) : on mange alors les abats dans l'allégresse, soit il s'agit d'un sacrifice de type chtonien qui se pratique au-dessus d'une fosse où le sang coule directement dans la terre ; les chairs sont entièrement brûlées en holocauste. Les rites chtoniens s'adressent aux divinités infernales, et accompagnent certains sacrifices expiatoires.
A mon sens on peut ainsi analyser les propos de Tirésias. La flamme ne s'élève pas au-dessus de l'autel, donc le sacrifice n'est pas ouranien ; cela signifie que les divinités infernales réclament même leur tribut puisque la graisse des cuisses fond sur le sol en crépitant et fumant. encore que l'on pourrait aussi interpréter ce crépitement comme un refus, ce qui signifierait que ni les dieux d'en-haut, ni les dieux d'en-bas ne répondent plus !). On peut comparer au chant I de l'Illiade où le sacrifice est ouranien. Nous sommes face à un rite chtonien, puisque ce sont les divinités infernales qui sont offensées. En outre, le caractère expiatoire du sacrifice est sous-jacent, en raison de l'attitude de Créon.
Quand la fumée se rabat, que la graisse coule et crépite est ce qu'on pourrait appeler un "sacrifice-test" , que Tirésias fait offrir pour *savoir* quel est l'avis des dieux. Ce sacrifice est rejeté, parce que la famille d'Antigone, son oncle Créon et Thèbes tout entière sont souillés par la présence d'un cadavre non-enseveli.
Antigone essaie de répandre un peu de poussière sur le corps : le rite a pour but de laver la souillure provoquée par la présence du cadavre nu). On pourrait rapprocher -entre autres- deux passages de l'Iliade (chant VI) :

- Andromaque évoque la mort de son père, tué par Achille :
... κατ
δ κτανεν ετίονα
ο
δ μιν ξενάριξε, σεβάσσατο γρ τ γε θυμ
λλ ρα μιν κατέτηκε σν ντεσι δαιδαλέοισιν
δ π σμ χεεν (vv. 416 - 419)
- Hector évoque la possibilité de sa mort
λλ με τεθνητα χυτ κατ γαα κλυπτοι (v. 464)
Mais quand je serai mort, une terre répandue me recouvrira.

ainsi que bien d'autres sacrifices refusés (y compris Caïn et Abel ..) par les dieux.

II] Le sacrilège de Créon.
Contre les dieux d'En-bas
Il n'est pas innocent, dans une pièce où l'héroïne a affirmé ne plus vivre parmi les vivants dès l'épisode II, et où comme le souligne fort bien Tirésias, on enterre une vivante tandis que l'on refuse d'enterrer un mort... La coupe est pleine, et Créon qui après avoir refusé d'écouter Hémon au 3ème épisode a cette fois-ci refusé d'écouter Tirésias, semble ne toujours pas comprendre qu'il offense toujours plus les dieux.
En effet, non seulement il ne respecte pas les dieux infernaux, mais en plus il n'écoute pas la voix des dieux en n'écoutant pas la voix de Tirésias. Hémon ne lui avait-il pourtant pas dit que c'était les dieux qui avaient doté les humains de raison et qu'en conséquence écouter la raison c'était écouter les dieux ? Le basculement semble avoir lieu entre les deux tirades de Tirésias, comme si la parole de ce dernier avait une valeur incantatoire.
Créon aurait peut-être pu se sauver en écoutant Tirésias, celui-ci ne lui a-t-il pas dit "celui-là cesse d'être un insensé ou un malheureux, qui tombé dans le mal s'en guérit". Il restait donc un espoir, mais Créon ne le saisit pas. Les paroles de Tirésias le condame alors comme une sentence. Tirésias utilise des futurs de l'indicatif.
Il y a de quoi effectivement fâcher très très fort les dieux d'En-bas, et ce n'est sans doute pas une vaine menace que Tirésias évoque la venue prochaine des Erinyes, comme si Créon avait pour le compte passé les bornes.
Le cadavre de Polynice est livré aux bêtes sauvages, de sorte que toutes viennent s'en repaître.
ε
̓χθραὶ δὲ πα̂σαι συνταράσσονται*πόλεις*,
ο
̔́σων** σπαράγματ' ἢ κύνες καθήγνισαν**
η
̓̀ θη̂ρες ἤ τις πτηνὸς οἰωνός, φέρων
α
̓νόσιον ὀσμὴν ἑστιου̂χον* ἐς πόλιν*. Et toutes les cités ennemies se soulèveront,
elles qu' ont souillées de lambeaux, ou les chiens,
ou les bêtes sauvages ou quelqu'oiseau qui vole,
portant l'odeur impie vers la cité qui possède un autel.

Cela signifie que :
1°) que toutes les bêtes susceptibles de se déplacer loin, d'où la précision πτηνὸς pour l'oiseau, qui vole, donc pas les dindons, les poules etc...etc....ont pu répartir les lambeaux du corps de Polynice : or le raisonnement est simple ; il est sacrilège de ne pas rendre les honneurs funèbres à un mort. Ne pas le faire amène la malédiction sur le territoire où le corps gît sans honneur. Si les animaux éparpillent les lambeaux du corps ils agrandissent l'étendue du territoire où repose ce coprs toujours non consacré. Ainsi le sacrilège s'étend et se propage en superficie.
La comparaison que l'on pourrait faire serait plutôt avec la peste qui se propage exactement de la même manière, avec des corps qui se décompose et avec des bêtes sauvages. Or l'on sait que la peste, l'épidémie de manière plus générale est une punition des dieux...
2°)A la rigueur ce que pourraient symboliser ces animaux, c'est la force primale, instinctive, mais pas autre chose. Il est clair que ce ne sont pas les animaux domestiques qui portent la puanteur.
3°) Comme il est dit dans le texte, c'est la ville qui possède un autel qui est souillée : et cette précision n'est pas innocente. Cela signifie clairement que tous les lieux privilégiés de contact avec les dieux sont touchés, donc que le contact est rompu.

POUR LES HELLENISTES

Etude du στασιμον ΙΙΙ : Hymne à Erôs

Traduire le texte.
Voir l'accusatif de relation.
Erôs, invincible dans le combat, Erôs, toi qui te précipites sur le bétail,
toi qui dors contre les fraîches joues de la jeune fille,
toi qui erres au-dessus des vagues et à dans les demeures agraires,
Nul parmi les immortels ne peut t'éviter,
Nul non plus assurément parmi humains éphémères.
Il est saisi de folie, celui qui te possède.

1 φύξιμος signifie à la fois "que l'on voudrait éviter" et à la fois "que l'on peut éviter".
Cela a une importance, car faut-il traduire par :
"Nul...ne voudrait t'éviter" ou "Nul...ne pourrait t'éviter" ? J'ai tout de même le sentiment que c'est plutôt "voudrait", à cause de ο
̔ δ' ἔχων :
Dire que Erôs est un bien que l'on peut posséder le différencie à mon sens d'une fatalité que l'on ne peut éviter. La valeur du suffixe ιμος se perçoit mieux par le rapprochement suivant :
- χρήσιμος  = χρή (user de) + σι(ς) = usage +μος (adj. : utile
- φύξιμος = φύγ-/φεύγ- (fuir) + σι(ς) = fuite + μος (adj. :  **fuyable**
[Attention forme inusitée !!!!! ] --> que l'on peut fuir, à qui l'on peut échapper
D'un autre côté, sachant que φύξις sur lequel est construit l'adjectif signifie "action d'échapper à", c'est plutôt un argument pour traduire par "que l'on ne peut éviter". Autre argument en faveur de cette hypothèse, Erôs est présenté comme un vainqueur irrésistible. L'accent est donc mis sur le combat, et si l'accent est mis sur le combat, c'est quelqu'un à qui l'on chercherait à échapper donc à qui l'on ne peut échapper, en reprenant le texte.

Toi aussi tu détourne les coeurs fautifs des convenances en vue d'un déshonneur1

Toi aussi, ayant semé le trouble tu diriges cette querelle d'hommes
entre parents de sang commun2:
Victorieux est le visible désir passionné dans les yeux de la jeune
fille dont le lit
est désirable, il siège parmi les premières des lois divines 3
Car elle se joue sans combat, la divine Aphrodite.


Mais maintenant, moi-même, moi aussi je suis porté
hors des lois en voyant cela et je ne puis plus
retenir les flots d'un pleur lorsque
je vois mon Antigone descendre vers la chambre
où tout être doit s'endormir.4

1la traduction diffère ici nettement de celle dePignarre. Deux interprétations sont possibles : soit il y a une allusion aux adultères ou aux unions non-légitimes, soit, il s'agit encore d'une remarque pour Hémon, amoureux d'Antigone contre ce que réclamerait une attitude juste envers la cité : en effet, l'amour est nécéssairement dirigé vers un individu unique.
2 Il n'est pas aisé trouver un sens satisfaisant à ε
̓́χεις : comme précédemment le propos est ambigü ; Est-ce que le choeur"reproche" à Aphrodite en suscitant l'amour chez Hémon d'avoir engendré une querelle entre Créon et son fils ? Cette interprétation demeure possible.
3 ou "écrites".
θεσμος c'est la loi naturelle ou divine par opposition à la loi écrite, puis loi écrite par extension :
en dépit de ce que conseille le Bailly, est-il bien sûr que cela soit la loi écrite ici ? Soit le Choeur rappelle qu'il y a des lois originelles qui nous viennent des dieux, et que l'amour en est une, soit il rappelle que l'amour a sa place auprès des lois écrites, ce qui est une invitation à concilier droit privé, et droit public, ordre particulier et ordre civique.
4 Le discours du coryphée tend à corroborer la première hypothèse. Après avoir déploré le pouvoir de l'amour, peut-être, pris de pitié, est-il à son tour porter à aller contre la loi, en voyant le sort d'Antigone. L'invitation à concilier les deux ordres pourrait être annonciateur de ce revirement.

Etude du στασιμόν V.



ô toi aux noms nombreux, honneur de la fille de Cadmos,
et race de Zeus au pesant tonnerre,
toi qui fréquentes la glorieuse Italie,
toi qui règne sur les vallées profondes communes à tous
de l'Eleusis de Démèter, ô Bacchus toi qui demeures
dans Thèbes cité-mère des bacchantes,
contre les courants onduleux de l'Ismène,
au milieu de la postérité du dragon.

1 Observons comment les mots grecs passent en français : σπορα
̂ͅ a donné spore en français, c'est à dire la fine poussière qui permet aux fleurs d'assurer leur descendance. Ici, le mot désigne la posérité du dragon. Commentaire mythologique :
Sémélé = fille de Cadmos et d'Harmonie = mère de Dionysos.
Cadmos = fondateur de Thèbes et ancêtre d'Antigone. Et de Créon aussi
! (héhé, peste soit de la belle famille, c'est le frère de Jocaste, or Jocaste est l'arrière petite fille de la soeur de Sémélé, Agavé...).
Le dragon est la créature que Cadmos dut combattre pour pouvoir fonder Thèbes.
C'est ses dents semés dans la terre sur les conseils d'Athéna qui donnèrent naissance à la population de Thèbes.
Il se produisit d'emblée une guerre civile, car les guerriers en question s'entretuèrent jusqu'à ce qu'il ne demeure plus que quelques survivants appelés par la suite Spartes (homme semés).


Une flamme mêlée de fumée brillante comme un éclair t'a aperçu par
dessus la roche à double crête, là où en bacchantes
s'avancent en ligne les jeunes filles de Corcyre,
Elle t'a vu la source de Castalie.
Les hauteurs couvertes de lierre  des monts de Nysa
et un verdoyant sommet lourd de vignes t'envoient,
toi qui observes les voies thébaines au son
de divines paroles qui crient évohé.

Commentaires : on n'identifie toujours pas exactement la Nysa dont il est question en raison de la multiplicité de lieux appelés Nysa...
Petite remarque :
Penthée petit fils de Cadmos et cousin germain, ex-roi de Thèbes eut de gros soucis avec son cousin en se refusant à le reconnaître.
A vrai dire dans les légendes il l'accusait de ne pas respecter les lois de la cité et d'amener la corruption dans les murs de Thèbes. Voilà qui n'est pas très éloigné du discours de Créon, non ? D'Antigone à Dionysos, et surtout de Sophocle à Euripide, la loi écrite se trouve au centre de contestations à Thèbes.
La source de Castalie pour mémoire se trouve à Delphes, haut lieu de culte d'Apollon, mais ce que l'on ignore facilement, de Dionysos aussi.
Les deux sources de l'art tragique...
On l'a vu précédemment, le fait est que Dionysos est intimement lié à l'histoire de Thèbes, ne serait-ce parce qu'il est un descendant de son fondateur.
Tu la tiens en honneur comme la plus haute des cités
en compagnie de ta mère frappée de la foudre :
Et maintenant comme la cité dans sa totalité est tenue
sous le coup d'une maladie terrible,
franchis le Parnasse escarpé ou la mer
grondante pour un pas purificateur.

Commentaires :

: bel infinitif impératif ! Intéressant en termes grammaticaux : on trouve encore des infinitifs injonctifs dans la langue française:
ex : ne pas se pencher par la fenêtre (écriteau dans les trains).
Bon : eh bien ici, c'est "passer par dessus le Parnasse et franchir la mer" l'écriteau, en quelque sorte. Sauf que cette formulation qui n'a plus rien de littéraire dans notre langue l'est tout à fait en grec ancien.
A noter qu'en grec moderne, il n'y a plus d'infinitif :Il serait intéressant de connaître la trounure utilisée par les Grecs lorsqu'ils traduisent ce passage en grec moderne.

Antistrophe 2


Io ! coryphée des astres qui soufflent du feu,
gardien des voix nocturnes,
enfant, race de Zeus, montre-toi,
roi, aux thyades, tes compagnes, avec elles,
elles qui en délire chantent toute la nuit
leur maître Iacchos.

من تلميدة الى تلاميد
 
 
Aujourd'hui sont déjà 1 visiteurs (3 hits) Ici!
Ce site web a été créé gratuitement avec Ma-page.fr. Tu veux aussi ton propre site web ?
S'inscrire gratuitement